Que faut-il faire pour être une entreprise en « or » ? Simplement être utile. Quand on en parle aux Français, ils n’ont pas leur langue dans la poche. Car cette notion est désormais au cœur des attentes citoyennes. Son état est cerné par une étude doublée d’un palmarès réalisé par Terre de Sienne et Ifop. Résultats détonants où l’entreprise se pose, pour la société, comme un vrai recours presque plus que l’Etat.
Pan sur la main du microcosme de la communication et de l’information : ni les journalistes (34%) ni les directeurs de marketing (19%) ou de communication (14%) ne sont les figures les plus utiles à la société. L’herbe n’est pas plus verte dans le jardin des responsables politiques (16%) dont la mission est pourtant de servir l’intérêt général. Seules catégories à trouver grâce aux yeux des Français : le dirigeant d’une PME (88%) et le PDG d’une grande entreprise (62%). Tels sont quelques-uns des résultats bien cinglants de l’enquête menée par Terre de Sienne et IFOP auprès des Français sur leur perception de l’utilité en entreprise assortie d’un palmarès des entreprises les plus utiles à leurs yeux (*).
Pour autant est ce surprenant ? Pas vraiment si on considère, en toute honnêteté, la défiance grandissante à l’égard de beaucoup de politiciens et de leurs promesses ressassées, éculées. Mais aussi si on tient compte de la crise socio-économique face à laquelle nous sommes confrontés. En revanche, qu’une entreprise soit utile pour la société dans son ensemble (51%), avant même pour ses clients (34%), ses collaborateurs (12%) ou ses actionnaires (3%), est un enseignement très étonnant.
Etre utile pour la société dans son ensemble
« Ce résultat, s’il est économiquement peu orthodoxe, est très symbolique du rôle de plus en plus important conféré à l’entreprise par le grand public », analyse Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. A tel point que -corolaire de ce résultat- 60% jugent que l’entreprise est plus utile que l’Etat (seuls 7% pensent le contraire tandis que 33% estiment que les deux sont utiles). Un chiffre dont l’ampleur démontre que l’entreprise est aussi dépositaire de l’intérêt général et représente un recours possible dans un climat économique et social difficile. « En France, la figure du patron de PME, qui incarne le travail, la proximité, et l’authenticité, reste plébiscitée », confirme Jean-François Le Rochais, président-fondateur du groupe Terre de Sienne. Quels que soient l’âge, la profession ou la sympathie politique (y compris aux extrêmes). Idem pour les start-up jugées aussi (50%) voire plus utiles (27%) que leurs aînées. Alors pourquoi un tel engouement pour les entreprises quelles que soient leur taille et antériorité ? Parce que pour les Français, décidément très lucides et terre à terre, elles créent de l’emploi (84%), innovent (37%) et contribuent au lien social (37%). En revanche, elles ne sont pas attendues en priorité sur des missions comme « faire rayonner la France » ou « défendre une grande cause ». « Plus que participer à des combats lointains, elles doivent participer au progrès économique et social à leur niveau et dans leur secteur », insiste Frédéric Dabi.
Etre utile en créant de l’emploi et en innovant
Une entreprise est aussi utile pour ses clients pas seulement quand elle leur fait gagner du temps (45%) et de l’argent (25%), mais d’abord si elle leur propose des produits innovants (60%), si elle leur apporte du bien-être (37%) et un sentiment de protection (33%). Et c’est peut-être bien le pari du groupe Seb qui a investi dans une cellule pour s’engager à aider ses clients à réparer (eux-mêmes ou via un technicien) leurs appareils en panne. Un service utilitaire qui remonte le temps et qui va à l’encontre de la société de consommation mais qui envoie bien plus qu’un signe de bienveillance en évoquant l’environnement protégé, le quotidien, la solidité, le porte-monnaie de l’acheteur… tout en tablant sur des sources de revenus grâce aux pièces détachées et à la fidélité garante de ventes à venir. « A travers ces réponses sur les jeunes pousses, les produits innovants, la recherche et le développement, il ressort que l’innovation et l’utilité sont deux notions indissociables aux yeux des Français », note Jean-François Le Rochais « un résultat intéressant à l’heure où les bienfaits des nouvelles technologies sont sujets à caution dans le débat public ».
Etre utile c’est aussi faire émerger les talents donc bien diriger
Mais l’étude aborde d’autres sujets, car être utile s’exprime aussi au sein de l’entreprise. Et pour les Français, il s’agit d’abord de diriger et de gérer les talents. La surprise vient de la place du DRH, qui arrive presqu’à égalité avec le DG (43% de citations), devant le directeur financier et le directeur commercial (37% et 34%). Un chiffre qui traduit bien la double attente des Français en matière d’emploi et de création de lien social. Les Français jugent là encore l’utilité des fonctions de l’entreprise au prisme de leur impact social.
Les fonctions de directeur de la communication et de directeur du marketing ont encore du chemin à parcourir (19% et 14% de citations). Signe que pour les Français, la communication et le marketing doivent se concentrer sur l’utilité de leur entreprise pour la société.
Quels fleurons sur le podium ?
And last but not least, l’étude propose une double lecture bien « utile » car elle révèle des résultats complètement différents. Avec d’un côté, le palmarès des entreprises les plus utiles jugées en valeur absolue. Et de l’autre, un podium très intéressant qui met en valeur toujours des entreprises utiles mais qui dégagent une image positive.
En tête du palmarès des entreprises les plus utiles : le service public, les fleurons industriels, les champions de la distribution et de la mobilité. Le trio gagnant est composé des groupes La Poste, SNCF et EDF. Des entreprises qui assurent une mission de service public ancrée dans le quotidien des Français et qui ont longtemps bénéficié d’un monopole les rendant incontournables pour les usagers et les citoyens. En élargissant au top 20, on trouve les champions industriels « historiques » de la France –Michelin, Peugeot, Renault, Orange, Total, Danone, Engie, Sanofi– y compris des grands groupes B2B -Airbus et Saint-Gobain– signe de l’attachement des Français aux secteurs industriels traditionnels qui portent les couleurs de la France dans le monde et occupent une place particulière dans l’imaginaire collectif.
L’importance accordée par les Français aux entreprises de la mobilité (automobile, aéronautique, ferroviaire…) est aussi à noter, avec 6 représentants qui occupent le top 10. Le secteur de la distribution est également très présent dans le top 20 en plaçant trois de ses représentants : Leclerc, Leroy Merlin et Carrefour.
A souligner également, deux représentants de la « french tech » qui signent une belle performance en intégrant le top 20 : fondées il y a 10 ans, Leboncoin et BlaBlaCar côtoient Saint-Gobain, qui a 350 ans d’histoire. Ces start-up ont su s’imposer rapidement en répondant de manière innovante à un besoin consommateur jusqu’alors insatisfait, et tirent les bénéfices d’un positionnement transparent et authentique.
Les banques, pourtant essentielles à notre économie, se retrouvent au-delà, à la vingtième place. Dans le match des banques, les coopératives et les mutualistes ont une légère avance sur les autres banques de réseaux (Crédit Agricole à 73 % et Crédit Mutuel à 71% de citations).
L’utilité des media est considérée différemment selon qu’ils émanent du service public ou non : France Télévisions ressort ainsi en pole position à 76%
Le luxe et la beauté sont logiquement un peu plus en retrait, mais pour autant, une majorité de Français estiment qu’Yves Rocher (68%, première marque du secteur), L’Oréal (67%) ou encore LVMH (59%) sont des entreprises utiles.
Les entreprises « en or » allient bonne réputation ET utilité : en rapprochant les critères d’image positive et d’utilité, on peut établir un nouveau classement combiné « réputation + utilité », riche lui aussi d’enseignements. Le top 5 est ainsi bouleversé : on y retrouve désormais Michelin, Leroy Merlin, Leclerc, Airbus et Peugeot. Leur point commun : un service historiquement centré sur l’usager et ses besoins, un positionnement reposant sur la proximité, l’authenticité, l’ancrage territorial. Important de constater que la majorité des entreprises du top 10 sont des entreprises familiales, ces dernières représentant aux yeux des Français un modèle d’entreprise vertueux, responsable et une fierté nationale.
Alors « y a-t-il une corrélation entre utilité perçue et image ? », s’interrogent les auteurs. Oui. En moyenne sur la cinquantaine d’entreprises du palmarès, il existe moins de 10 points d’écart entre ces 2 critères. Ce constat général comporte bien sûr des exceptions, en particulier les 3 entreprises jugées les plus utiles, La Poste, EDF, SNCF. Mais malgré leur « décote » d’image (sans doute due à l’exigence que les Français réservent aux entreprises du service public), elles restent dans le top 20 du classement combiné, protégées justement par la forte utilité que leur prêtent les Français.
« L’utilité perçue est un capital puissant qui contribuent à solidifier l’entreprise, au-delà de la seule image de marque. Elle protège durablement l’entreprise, parce qu’elle la rend difficilement substituable aux yeux des Français, quand ce n’est pas incontournable. Y compris quand celle-ci souffre d’un certain désenchantement ou d’une crise d’image. Dans leur communication, les entreprises doivent d’abord chercher à identifier à quoi elles peuvent être utiles, pour leurs parties prenantes et plus largement pour la société toute entière ; puis valoriser cette utilité en adoptant une posture authentique, au service de l’intérêt général autant que de leur propre business », conclut Jean-François Le Rochais.
(*) Réalisée auprès de 1164 Français représentatifs de la population active, du 12 au 16 juillet 2016.